Dans l'immense tâche de reconstruction du Rwanda de l'après-génocide, sur le plan matériel mais aussi psychique, chaque secteur de la communauté a un rôle à jouer, y compris les artistes. Devant l'énormité qu'a été le génocide, nous sommes obligés de repenser des réponses aux diverses formes de " thérapies " sociales et de " création " qui ont été proposées dans d'autres circonstances, par définition incomparables : un génocide dépasse tout, il est innommable. Aucune science n'est à la hauteur pour reconstruire entièrement cette rupture. Et l'art, diront certains, encore moins...
Le défi est donc multiple : tenir compte dans une "oeuvre d'art" du poids de l'événement - le génocide perpétré contre les Tutsis et l'extermination des Hutus démocrates ; créer un mémorial accessible et pudique dans sa représentation; utiliser une démarche de création qui, elle-même, aura une fonction commémorative, pédagogique et cathartique et qui impliquera tous ceux qui le souhaitent, les rescapés, et les bourreaux.
Il nous a paru nécessaire de concevoir une "sculpture" qui tienne compte de l'importance de la participation de la communauté dans la réalisation. Pour cette raison elle ne pouvais pas être construite sans l’étroite collaboration intellectuelle et logistique des principales associations de la société civile rwandaise : IBUKA, Pro-Femmes, AVEGA, entre autres.
La construction du mémorial sera en elle-même un processus de remémoration et de recueillement... La cérémonie de commémoration consistera en la pose des pierres. Elle sera simple et sobre. Chaque personne ira prendre une pierre et la marquera d'un nom ou d'un autre signe identifiant une victime. Elle la placera ensuite d'une manière ordonnée à la suite d'une autre pierre déjà placée. Chaque pierre aura une identité individuelle, tout en étant indissociable de l'ensemble.
Les pierres seront placées par les membres des familles ou proches des victimes au cours de cette cérémonie de commémoration. Mais pas seulement. Tout autre personne qui se sent concernée, rwandaise ou étrangère, pourrait placer une pierre en mémoire d'une victime. Cette cérémonie durera plusieurs mois. Elle pourrait également s'inscrire dans une plus longue durée. Dans les mois ou les années qui suivront les cérémonies institutionnelles de commémoration, des individus pourraient venir placer une pierre en souvenir. Le jardin s'élargira ainsi sur son site déterminé.
La pierre, anonyme par sa matière et sa quantité, sera individualisée en l'associant à une " marque " distinctive rappelant un défunt. Cette marque pourrait être le nom gravé, la photo, une lettre. Elle pourrait être permanente ou éphémère. Une équipe d'animateurs et d'artistes assistera techniquement les participants pour qu'ils associent la " marque " à la pierre.
La première pierre a été posée le 5 juin 2000. L'inauguration du Jardin était un acte solennel en présence des représentants des autorités, des institutions et de la société civile. Les principales associations de la société civile rwandaise sont partenaires du projet. Les travaux se déroulent sous la direction de la commission mémorial dépendant du Ministère rwandais de la Jeunesse et de la Culture. L’UNESCO est partenaire financier.
Depuis 2019
Mme Jeannette Kagamé, première dame, a posé la première pierre du Jardin de la Mémoire, en juin 2000. En cette année du 25ème commémoration du génocide des Tutsis, le Jardin de la mémoire sera achevé.
Un million de pierres, chacune représentant une victime, devait être posé sur ce site de mémoire historique à Nyanza, Kicukiro. La pierre représente la permanence de la mémoire. Elle a de la présence. La pierre est pour l'éternité.
Les pierres sont placées dans un jardin, représentant la renaissance après un holocauste. Le jardin n'est pas un jardin ordinaire. Chaque détail et aspect est une allégorie de la souffrance et de la sécurité, du désespoir et de l’espoir. C'est un Jardin de la Mémoire, de nombreuses mémoires.
Nous ne pouvons pas compter les victimes, un million est un nombre symbolique ; il y avait probablement plus. Nous ne compterons pas les pierres. Les victimes sont représentées aucunement en forme figurative; elles ont seulement une présence symbolique dans les pierres, celles-ci laissent la trace que les victimes n'ont jamais pu laisser dans leur vie. Les sauvant symboliquement de l'oubli. Les pierres seront posées dans une formation artistique à partir de différents points centraux s'ouvrant progressivement vers la périphérie lors de cérémonies rituelles participant à l'amorce du processus de deuil.
D'autres caractéristiques du jardin, la Forêt de la mémoire, les cours d'eau, racontent comment la nature a protégé et sauvé, miraculeusement, quelques-uns. Le projet génocidaire a échoué car il y as des survivants, il y a le souvenir de ce qui s'est passé. Ce Jardin représente cette mémoire.
Les pierres ont été placées par des membres ou des amis de la famille de la victime lors de cérémonies commémoratives. Nous espérons que, comme tous les jardins, celui-ci grandira. Davantage de pierres seront posées, plus d'arbres plantés, plus de vie prospérera.
D'autres éléments artistiques seront bientôt développés dans le jardin près de l'amphithéâtre central et de la flamme de la vie. Des Hommes, des Femmes et et des Enfants debout, disant à tout le monde que nous sommes encore symboliquement debout. Avec dignité, avec résilience.